Le Congrès des peuples autochtones : défis et priorités en matière d’eau

Le Congrès des peuples autochtones (CPA, lien en anglais) est la voix nationale des peuples autochtones hors réserve et est reconnue par le gouvernement du Canada comme l’une des cinq organisations nationales représentatives des Autochtones. Cette histoire de Melanie Bateman, coordonnatrice des ressources en eau du CPA, présente le CPA et ses priorités en matière de gouvernance de l’eau, telles que la cohérence et la coordination de la politique sur l’eau en ce qui concerne les droits des peuples autochtones à l’eau, et la participation équitable à la gouvernance de l’eau.

À propos du CPA et des peuples autochtones hors réserve

Le CPA a pour mandat d’améliorer les conditions socio-économiques hors réserve en milieu urbain et rural des Indiens inscrits et non inscrits, Métis et Inuits du Sud. Le CPA a été fondé en 1971 sous le nom de Conseil autochtone du Canada et était l’organisation nationale de défense des intérêts des organisations provinciales et territoriales (OPTs) qui lui étaient affiliées. Les 11 OPTs (en anglais) demeurent toujours l'organe directeur du CPA et travaillent ensemble pour promouvoir et faire avancer les intérêts communs, les droits collectifs et individuels, et les intérêts et les besoins de ses membres. Le CPA estime que tous les peuples autochtones du Canada devraient être légitimement traités avec respect, dignité, intégrité et égalité et bénéficier d’une qualité de vie élevée, fondée sur la reconstruction de nos Nations. En tant qu’organisation nationale, le CPA travaille collectivement avec ses 11 OPTs pour relever les défis uniques auxquels sont confrontés les peuples autochtones hors réserve et veiller à ce que leurs voix soient entendues dans les processus d’élaboration des politiques.

Le recensement canadien a identifié 1,81 million d’Autochtones au Canada en 2021. Sur ce total, on estime que 975 530 (54 %) sont non inscrits (c.-à-d. qui ne sont pas des Indiens inscrits ou des Indiens visés par un traité). Parmi la population inuite, 21 825 (31 %) des 70 540 Inuits du Canada vivent à l’extérieur de l’Inuit Nunangat (au sud). Parmi la population métisse, 440 637 (71 %) des 624 220 Métis ne font pas partie de l'une des cinq organisations signataires de l’Accord Canada-Nation métisse et ne vivent pas dans un établissement métis de l’Alberta. La population autochtone hors réserve continue de croître et représente actuellement 82 % de la population autochtone totale du Canada, par rapport à 56 % en 2016.


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Photos ci-dessus du Sommet sur l’environnement du Congrès des peuples autochtones, 2023. Toutes les images de cet article, y compris celle de l’entête, © le Congrès des peuples autochtones.

Notre défi en matière de gouvernance de l’eau

La gestion de l'eau au Canada est régie par une mosaïque complexe de lois et de politiques des gouvernements fédéral, provinciaux, territoriaux et autochtones et des administrations municipales. De nombreuses questions continuent de se poser concernant l’identification des détenteurs d’autorité dans différentes circonstances et concernant la cohérence politique globale pour la prise de décisions en matière d'eau partout au Canada. Les peuples autochtones vivant hors réserve, qui sont touchés par les décisions de ces nombreuses autorités responsables de l'eau, ne savent pas exactement à quels paliers de gouvernement ils doivent s'adresser pour faire part de leurs problèmes, préoccupations et besoins. Cette incertitude découle du fait que les responsabilités à l'égard des peuples autochtones (qui relèvent de la compétence du gouvernement fédéral) n’ont pas toujours de lien avec les responsabilités en matière de gouvernance de l'eau (qui relèvent souvent des compétences des gouvernements provinciaux et territoriaux et des municipalités). Dans le cas de nos frères et sœurs qui résident dans des réserves au sens de la Loi sur les Indiens (Premières Nations), le gouvernement fédéral et les collectivités des Premières Nations disposent de pouvoirs et de mécanismes leur permettant de coopérer pour résoudre leurs problèmes particuliers en matière d'eau dans les réserves. En revanche, pour notre collectivité hors réserve, le gouvernement fédéral n'a aucune compétence sur la plupart des terres et des eaux où nous résidons et que nous utilisons, et les gouvernements provinciaux ont un long historique de refus de s'engager auprès de nos OPTs sur les questions de droits autochtones.

En 2016, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Daniels, a mis fin au « désert juridique » dans lequel se trouvaient les peuples autochtones hors réserve, désert qui a eu des « conséquences défavorables importantes et évidentes ». En déclarant que nos membres sont des « Indiens » au sens de la rubrique 91(24) « Les Indiens et les terres réservées pour les Indiens » de la constitution fédérale, la Cour suprême a tracé la voie politique en déclarant également que « c’est vers le gouvernement fédéral qu’ils peuvent se tourner » ; bien qu’elle ait également reconnu que les tribunaux devraient « [privilégier], dans la mesure du possible, l’application régulière des lois édictées par les deux ordres de gouvernement ».

Dans le cas de la gouvernance de l’eau au Canada, le CPA a proposé de s’engager avec le gouvernement du Canada et d’autres administrations, ainsi qu’avec des expert·e·s en eau par l’entremise de l’Agence canadienne de l’eau et d’autres forums, afin d’élaborer une politique cohérente sur l’eau et des mécanismes d’engagement pour faire progresser l’arrêt Daniels.

Les priorités du CPA en matière d’eau

  1. Le CPA exige l’inclusion des peuples autochtones hors réserve dans les processus décisionnels relatifs à l’eau. La législation sur l’eau douce doit être revue avec le regard CPA-arrêt Daniels afin de répondre aux préoccupations des peuples autochtones hors réserve tout en collaborant avec les gouvernements provinciaux et territoriaux et les municipalités.
  2. Le CPA met l’accent sur la reconnaissance des droits de la Terre nourricière1en soulignant l’importance vitale de l’eau et son interconnexion avec la Terre et tous les êtres vivants.
  3. Le CPA préconise la reconnaissance des immenses avantages dont les collectivités autochtones devraient bénéficier par un accès équitable à l’eau et préconise le partage de la myriade d’utilisations que l’humanité a tirées de l’eau et des savoirs traditionnels des peuples autochtones, y compris les nouveaux développements tels que la biotechnologie des ressources génétiques aquatiques2
  4. Le CPA réitère l’importance primordiale de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA)3, y compris les droits des peuples autochtones aux terres, territoires et ressources et à leur implication dans les prises de décisions les concernant. Le CPA suggère de collaborer avec la nouvelle Agence canadienne de l’eau pour explorer le chevauchement de la mise en œuvre de la DNUDPA avec le grand nombre de lois, politiques et programmes qui régissent ou affectent l’eau, son accès et/ou son utilisation.
  5. La politique de l’eau doit adopter une approche holistique « Une seule eau » qui prend en compte l’ensemble du cycle de l’eau, y compris les impacts en aval et sur les écosystèmes environnants. Cette approche devrait être appliquée non seulement à l’eau douce, mais aussi à l’ensemble des recherches, projets, programmes et extrants liés à l’eau. Le décloisonnement entre la gestion de l’eau potable, des eaux usées et des eaux de ruissellement permet d’adopter une perspective globale favorisant des pratiques de gestion durable de l’eau.
  6. L’impact de la colonisation et du sexisme a touché de manière disproportionnée les femmes autochtones, créant de multiples obstacles à leur participation à la gouvernance de l’eau et aux processus décisionnels. Les femmes autochtones sont respectées en tant que « porteuses » d’eau et de vie. Pour relever ces défis, la législation sur l’eau devrait adopter une optique d’analyse comparative entre les sexes plus (ACS+) qui inclut les femmes autochtones et les personnes de diverses identités de genre. 
  7. Le CPA et les OPTs sont confrontés à des défis en termes d’expertise technique et de financement pour sensibiliser le public aux besoins et aux enjeux des peuples autochtones hors réserve liés à l’eau. Un financement adéquat est nécessaire pour renforcer les compétences, coordonner les efforts et garantir la participation respectueuse, complète et efficace des peuples autochtones hors réserve à la gouvernance de l’eau à tous les niveaux.
  8. La législation sur l’eau douce devrait adopter une approche prospective afin de garantir une eau propre, saine, sûre et durable pour les générations futures. Le CPA recommande aux décideurs de tenir compte des lois et pratiques coutumières des collectivités autochtones régionales, telles que le principe de la septième génération des Haudenosaunee.
  9. La Loi sur les ressources en eau du Canada devrait être mise à jour pour refléter l’adoption par le Canada de la DNUDPA. Il s’agit notamment d’incorporer une disposition autochtone de non-abrogation et de non-dérogation, d’exiger la consultation des peuples autochtones et d’intégrer le savoir traditionnel autochtone dans les processus décisionnels. La Loi devrait permettre aux décideurs et aux peuples autochtones de faire évoluer le droit à une eau sûre, propre, saine et durable.
  10. Il est inacceptable que le Canada, l’un des pays les plus riches et les plus développés au monde, dispose d’infrastructures de traitement des eaux de qualité inférieure. Si le traitement tertiaire est évidemment idéal, sa priorité dans les régions plus riches ne peut se faire au détriment des communautés plus rurales ou plus pauvres qui ne disposent que d’un traitement primaire, voire d’aucun traitement il s’agit de racisme environnemental.

Le CPA expose ces priorités et d’autres encore dans un récent rapport public qui est disponible en contactant les auteurs du rapport4. Pour toute question ou engagement supplémentaire, veuillez contacter la coordonnatrice des ressources en eau du CPA, Melanie Bateman, à l’adresse suivante: [email protected].


1 « Universal Declaration of the Rights of Mother Earth » (Déclaration universelle des droits de la Terre nourricière, lien en anglais), 2010
2 Voir les « Iskenisk Declaration and Petkoutkoyek Statement on the Access, Use, and Fair and Equitable Sharing of Benefits Arising Out of the Utilization of Genetic Resources and Associated Traditional Knowledge in Canada », (Déclarations Iskenisk et Petkoutkoyek sur l’accès, l’utilisation et le partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques et des savoirs traditionnels associés au Canada), « Maritime Aboriginal Peoples Council » et « Access and Benefit Sharing Canada » (liens en anglais)
3 Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, Résolution adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies A/RES/61/295
4 Joshua McNeely, directeur de l’environnement : [email protected] ; ou Melanie Bateman, coordonnatrice des ressources en eau : [email protected]

Melanie Bateman
À propos de Melanie Bateman
Melanie Bateman est coordonnatrice des ressources en eau au Congrès des peuples autochtones. Diplômée des universités Queen’s et Dalhousie, elle a travaillé sur la crise de l’eau chez les Autochtones au Canada.
Le Congrès des peuples autochtones : défis et priorités en matière d’eau
Le Congrès des peuples autochtones : défis et priorités en matière d’eau
Imagine a Canada where all waters are in good health: